Conférence : Comprendre Lacan – La jouissance -, le mercredi 7 juin 2017 aux Séminaires psychanalytique de Paris

COMPRENDRE JACQUES LACAN

LA JOUISSANCE

 

INTRODUCTION

Freud n’a pas fait du mot jouissance un concept psychanalytique. Le mot renvoie chez lui à la première définition du Larousse, celle de plaisir intense :

« Plaisir intense, intellectuel ou moral, que l’on tire de la possession de quelque chose ou de la connaissance. » ; « Plaisir physique intense : les jouissances de l’amour » ;

Une seconde définition cerne la jouissance sous l’angle d’une libre disposition :

 «Libre disposition de quelque chose : avoir, garder la jouissance de son appartement » ; « perception des fruits naturels ou civils d’un bien »

De ces deux définitions, la dernière, « la libre disposition de quelque chose » et la « perception des fruits d’un bien » est la plus proche du concept de jouissance en psychanalyse, du moins chez Lacan.

Ainsi, plaisir intense, joie intense, définiraient au plus prêt le sens du mot jouissance pour Freud. Tandis que la libre disposition s’approcherait de la jouissance lacanienne.

Même Lacan a mis un temps dans son Séminaire avant de forger ce qui allait devenir un point important de sa matrice, en en distinguant nettement le plaisir, le désir, et en travaillant de concert les concepts de castration, de pulsion de mort, dégageant, dans tout ce cheminement, plusieurs jouissances, celle du côté du masculin et celle du côté du féminin.

Dans les quelques mots qui précèdent, nous avons les grands items, le menu, que nous allons développer, et qui nous conduira à mieux approcher une notion frontière, comme la plupart de celles que mobilise Lacan.

Nous verrons le rapport que la jouissance entretient avec le langage. Le langage condamne la jouissance première, originaire, celle de la mère, la mère au sens de la Chose perdue, et en même temps, permet à une jouissance soumise à la loi, à la castration, d’exister. Une jouissance qui, par ailleurs, n’est ni plaisir, ni désir, mais a ses lois propres, celle du signifiant de la castration. Ce que nous disons là va s’éclaircir au fil de la lecture.

Pour avancer, nous examinerons le concept de castration, essentiel à ce que la jouissance de l’être parlant, du parlêtre, advienne, tout en le privant de la toute jouissance première. Nous voyons déjà par ces quelques mots que la jouissance n’est pas une notion monolithique, que le langage est à la fois coupure, limite et condition d’émergence de quelque chose du même nom, jouissance, mais qui semble être de plusieurs natures : afférente au langage ou hors langage.

Nous convoquerons la clinique pour travailler au corps le concept de jouissance en allant voir du côté des trois structures, névrose, psychose et perversion.

À la fin du périple, nous examinerons ce que Lacan entend par non rapport sexuel et jouissance Autre, une jouissance qui ne serait ni toute puissance, ni limitée par la castration, mais s’apparenterait à une idée lacanienne du féminin, ce continent noir freudien et que Lacan tentera d’éclairer quelque peu.

 

DE FREUD À LACAN, EN PASSANT PAR HEGEL

La jouissance chez Lacan n’est pas celle du dictionnaire courant. Il ne s’agit pas d’un surcroît de plaisir, d’un plaisir intense.

Dans la conception du principe de plaisir de Freud, l’on peut entendre l’idée d’apaisement, la résorption d’une tension. Ce qui met en état de plaisir est de dissiper une montée d’excitation, de revenir à une sorte d’état neutre s’il en est. Freud pensait que de renouer avec le plaisir était la première finalité humaine, le principe de réalité modifiant le principe de plaisir par les limites qu’il lui impose dans la nécessité de l’adaptation.

Initialement érigé en principe premier de la vie psychique, nous savons que Freud reviendra sur cette conception, en particulier dans les années 1920, en travaillant le concept de pulsion de mort sur lequel nous reviendrons.

Un retour à l’apaisement que l’on trouve du côté du principe de plaisir s’oppose à une mise en tension, un déplaisir morbide, répétitif, voire compulsif du côté de la jouissance. D’ailleurs, dans la définition du Larousse, « un plaisir intense« , il y aurait une contradiction dans les termes, selon la conception freudienne de plaisir : l’intensité n’étant pas le résultat d’un apaisement mais bien plutôt d’une mise en tension. Parmi les synonymes d’intensité, l’on trouve : force et violence. Ces qualificatifs font bien échos à l’idée psychanalytique de jouissance et non de plaisir.

Lacan, qui a suivi les cours de Kojève sur Hegel, se nourrira de l’approche hégélienne du droit. . Avoir l’usufruit de quelque chose, en jouir, c’est en dépouiller quelqu’un du droit. La jouissance y est ici subjective au sens de non partageable.

Notons la définition d’usufruit selon le Larousse :

 » Démembrement du droit de propriété conférant à son titulaire l’usage d’un bien appartenant à autrui et le droit d’en percevoir les fruits naturels et civils « ,

Jouir d’un objet, ou d’un sujet, c’est en expulser le propriétaire et en prendre possession pour son usage personnel. Il s’agit d’une restriction impérative de la jouissance d’un autre.

Pour avancer, allons du côté du langage et du signifiant.

 

JOUISSANCE ET SIGNIFIANT

Comme nous l’avons vu, le sujet vivant est un parlêtre, un être de parole, et cela l’installe de fait dans l’état d’être coupé de la jouissance originelle, de la Chose.

L’on pourrait sérier la Chose, bien qu’elle soit par essence non symbolisable, en disant qu’elle est le réel pur avant toute symbolisation, et effacée dès la survenue du langage.

Ce serait l’objet d’une jouissance illimitée, l’objet de désir par excellence.

Le symbolique est une tentative de broder autour de ce hors langage, de ce réel impossible à attraper et sans cesse coursé par le sujet. Il est un succédané de la Chose.

En somme, le signifiant exprime toujours un trait du manque de cette Chose là, de la jouissance originelle.

Ainsi le langage est-il une coupure, une séparation d’avec la Chose, c’est à dire une castration symbolique.

Et l’inconscient est le lieu du transfert de la jouissance du corps vers la parole. Quand on parle de jouissance chez Lacan, l’on désigne toujours un corps qui jouit. Et si l’on précise, jouissance phallique, il s’agit d’un corps qui jouit par le prisme du langage.

L’inconscient est structuré comme un langage et ce langage est au plus près de la jouissance du corps : il en est l’expression.

Les trois jouissances :

Il est temps de dessiner les contours des trois jouissances pivots auxquelles Lacan revient tout au long de son itinéraire. Garder en tête les grandes lignes de distinction de ces trois notions aidera à la compréhension de ce qui va suivre.

La jouissance de l’être :

Tout d’abord, la jouissance de l’être, avec tout ses synonymes : jouissance de la Chose, hors langage, au-delà du symbolique, qui réapparaît dans le réel quand il y a forclusion du Nom du Père – nous préciserons plus loin de quoi il s’agit -.

C’est la jouissance perdue que tout un chacun n’aura de cesse de rechercher sans jamais l’atteindre. Un fantasme pourrait lui donner corps : celui de retourner dans le ventre de la mère, soit de renouer avec le Nirvâna

La jouissance phallique :

La jouissance phallique s’articule avec le symbolique, elle est passée par le tamis du langage, elle sort de l’indicible. Elle est sous le joug de la menace de castration, de l’interdit de l’inceste. Elle est donc circonscrite, limitée.

La suite de renoncements à la jouissance orale, annale prépare l’accès à la jouissance phallique.

C’est une jouissance issue de la castration symbolique,   inscrite dans la chaîne signifiante, par opposition à la jouissance de l’être et de l’Autre, toutes deux hors langage.

Effet de la parole, de la castration, jouissance langagière, elle résulte du tiers séparateur de la mère et de l’enfant.

Jouissance de l’autre :

Enfin, il y a la jouissance de l’Autre, ou Autre, ou féminine, ou supplémentaire… Nous reviendrons spécifiquement sur cette dernière un peu plus tard.

Reprenons la discussion sur jouissance et signifiant.

La langue impose des lois qui ne sont pas celles de la jouissance originelle mais celles de la parole et du langage. L’entrée du symbole dans la vie du sujet implique une jouissance perdue. Le sujet est l’effet de la chaîne signifiante qui le libère de la jouissance totale de la Chose, de l’emprise totale de la mère et en même temps le restreint à une autre jouissance moindre, limitée. Quand je parle, je ne suis déjà plus dans le corps brut, le réel du corps, mais dans un corps parolisé.

La loi détermine les objets et les modes de satisfaction accessibles au parlêtre. Elle est en quelque sorte le principe de réalité freudien.

Il y a échange de la jouissance de l’être pour de la parole ; un moins de jouissance de l’être pour un plus de loi, de symbole, de langage.

« Le signifiant, c’est ce qui fait halte à la jouissance »

dit Lacan, à la jouissance de l’être – originelle , hors langage et sans limite – ajouterons-nous.

 

Barrière à la jouissance de l’être

Langage >

Générateur d’une jouissance parolisée

 

La parole fait jaillir une autre jouissance. En somme, le signifiant limite la toute jouissance à la jouissance phallique tout en étant la cause de cette dernière, celle d’une jouissance en parole et qui ne se révèle que par le discours. Cette jouissance survient après que le sujet a été restreint par le langage et la loi, mais c’est aussi le langage et la loi qui le constituent comme sujet.

Le langage tue la Chose en lui donnant une nouvelle, une autre existence. Il interdit au sujet de réintégrer la mère, mais pour que d’autres choses deviennent accessibles.

La jouissance originelle, toute puissante, de la Chose, subit la loi du signifiant.

Certains n’acceptent pas cette meurtrissure, cette coupure d’avec la jouissance première et contournent l’obstacle, comme le pervers, en déniant la limite, la castration, et en faisant de la jouissance une loi, en lieu et place de la loi de l’Autre.

L’Autre, ce pourrait être le bain de paroles, de signifiants, dans lequel le sujet est immergé dès sa naissance. Il ne peut en faire abstraction. Il est un être de langage, un parlêtre.

Le langage ferme l’accès du retour à la Chose. Il y a exil dans le langage.

Pour le dire autrement, le bain de langage, dans lequel le sujet est immergé, l’écarte sans retour de la jouissance de l’être, de la jouissance de la Chose, qui est perdue à jamais, et cette perte par le langage fait advenir une jouissance substitutive, un succédané de la jouissance de l’être, un pâle remplacement, une jouissance parolisée, dans le langage, dite jouissance phallique.

Tout ceci n’est pas d’un bloc. Le langage humanise, constitue le sujet comme parlêtre, et en même temps réduit sa jouissance à un effet de langage. Feu le corps brut hors langage ; advenue de l’être parlant et limité.

Lacan distinguera la jouissance première, celle de la Chose, d’avec celle issue de la parole, de l’Autre. Si l’Autre est le bain de signifiants dans lequel le sujet évolue avant même sa naissance, il est représenté par le Nom du Père, le père symbolique, porteur de la loi, en premier lieu, celle de l’interdit de l’inceste.

En somme, l’alternative est celle-ci : la Chose ou l’Autre du langage. Le langage tue la Chose.

L’intervention de l’autre est antithétique de la jouissance originelle. La parole est celle de la loi qui interdit la jouissance première pour donner accès à une jouissance immergée dans le langage.

Pour Lacan, la jouissance du signifiant s’impose avant la pulsion freudienne. La jouissance humaine, soumise à la loi, est issue du langage. Mais le langage met le sujet à distance d’une jouissance totale, celle de ne faire qu’Un avec la Mère. L’on pourrait rapprocher cette jouissance première d’un vécu mystique ou chimique – par absorption de certaines substances -, celui de faire Un avec les éléments, d’être le cosmos, ou tellement en accord avec les éléments qu’il n’y aurait aucune distinction possible entre soi et l’univers. Ici reconnait-on le trait psychotique de la confusion extrême, de l’absence de frontière entre le dedans et l’extérieur, entre le sujet et l’autre.

Dans la jouissance du signifiant, jouissance phallique, rappelons-le, il y aurait comme le vestige de cette jouissance première, très édulcorée, mais jouissance quand même.

 » La jouissance est du côté de la chose« ,

dit Lacan, mais il parle bien là de la jouissance de l’être. La Chose se perd en effet dès lors qu’il y a la chaîne signifiante.

Et la construction du sujet consiste à ce qu’il aille de l’Un originaire à l’Autre de la parole.

 

JOUISSANCE ET CASTRATION

Maintenant que nous avons distingué, avec un peu d’insistance, la jouissance de l’être et la jouissance phallique, allons plus avant sur le concept de castration, sur son opérateur et ce qui en résulte, le manque.

Le sujet s’organise face à ce manque. Il en résulte diverses politiques de la castration conduisant à des organisations, des structures cliniques distinctes.

Repartons à l’origine du concept de castration. Dans Totem et Tabou, Freud invente le mythe du passage de la toute jouissance du père de la horde à la jouissance phallique de ses fils. En tuant le père de la horde, les fils fabriquent un père symbolique, un père totémique, porteur de la loi, celle de l’interdit de l’inceste. Par cette institution du Totem, les fils s’interdisent la toute jouissance, en premier lieu, celle de la mère. Ils circonscrivent la jouissance, ce qui les conduit au droit d’une jouissance limitée, exogène et non endogène, toutes sauf une, toutes sauf la mère, et toutes sauf celles du clan, les consanguines. Par la mère, on entend l’interdiction œdipienne de la toute jouissance incestuelle, opérée par le père symbolique, non pas le père réel, mais celui fabriqué par les fils.

Ainsi les fils accèdent à la loi, à la parole, au symbolique, ces trois mots renvoyant à la puissance instigatrice du langage et en même temps aux bornes qu’il constitue.

C’est un soulagement pour l’enfant que de connaître la limite. Les turbulents sont souvent ceux qui sont assaillis par une jouissance sans frontière et appellent le père symbolique.

Lacan distingue trois pères : le père réel, symbolique et imaginaire.

Le père réel est la personne même du père, en chair et en os. C’est le géniteur, celui qui devrait faire le boulot de mari avant de faire celui de père, dirait Dolto.

Le père imaginaire est fantasmé, il est une fabrication de l’imaginaire, un père tout puissant – mini père de la horde -. Il est le seul à pourvoir jouir de la mère dans ce que se représente l’enfant. De plus, il est le fruit de l’interdiction du troisième père, le père symbolique.

Celui-ci proscrit la mère. Il n’existe pas dans la réalité et est une fabrication du sujet, une fonction symbole.

Ce père symbolique, Lacan l’appelle le Nom du Père. Il l’a fabriqué suivant les travaux de Claude Lévi-Strauss et de son signifiant zéro, le signifiant d’exception, ayant pour fonction d’articuler la chaîne signifiante et par la même, le langage. Le Nom du Père fait coupure d’avec la jouissance de l’être et permet l’accès à la jouissance phallique. Ce signifiant zéro ou d’exception, Lacan l’écrit S1.

Signifiant  » castration « , le père symbolique, le Nom du père, est le garde fou de toute velléité de l’enfant de posséder la mère, et de toute tentative de la mère de réintégrer l’enfant dans son ventre. La dialectique de l’être et de l’avoir se met en place ici : pour l’enfant, l’interdit d’être le phallus de la mère, et pour la mère, l’interdit d’avoir l’enfant comme phallus. Le père symbolique châtre la mère et l’enfant pour qu’ils renoncent à la toute jouissance incestueuse et acceptent le manque, composante première du désir. L’insatisfaction sera toujours de mise dans le rapport à l’objet puisqu’il ne sera jamais aussi total et sans limite que la jouissance originelle de la mère.

Jean-David Nasio dit à ce propos :

 « Le signifiant “castration” est la limite qui sépare le monde de la sexualité toujours insatisfaite, du monde de la jouissance supposée absolue. »

 Pour Freud et pour Lacan, il y a un opérateur de la castration. Pour autant, là où Freud parle de menace, Lacan y voit un salut. Pour Freud, c’est avec la castration que les ennuis commencent, car elle est la source même de la névrose. C’est parce qu’il y a conflit entre la pulsion et l’interdit qu’il y a pathologie. Pour Lacan qui, nous le rappelons, a spécifiquement travaillé sur la psychose, la castration est un bienfait. Si elle n’opère pas, autrement dit, si la fonction du Nom du Père est forclose, non opérante, il n’y a donc pas d’entrée du sujet dans l’ordre symbolique. Cela peut être à l’origine même de la psychose.

Le père symbolique peut être l’ordre social. Par Nom du Père, l’on peut entendre les rites. Ceux-ci sont un moyen de passer de la jouissance de l’être à la jouissance phallique. Ils imposent une limitation à la jouissance et marquent les territoires incompatibles de la jouissance de l’être et de la loi.

 

POLITIQUE DE LA CASTRATION

Plus généralement, le sujet, aux prises à la castration, va adopter une politique singulière selon sa structure. Il s’agit de faire face au manque de la jouissance perdue.

Le sujet a sa façon propre de manquer la jouissance perdue et de tenter de la retrouver.

Après l’intervention du père symbolique, le Nom du Père, une jouissance amoindrie, une sorte de succédané, de pâle copie de la jouissance de l’être, jouissance originaire, germe alors, issue d’une transaction où s’établit un « quantum de jouissance » compatible avec la loi du langage. La bonne régulation établirait le bon quantum et épargnerait le symptôme. Il s’agirait alors d’une jouissance normale, issue d’une bonne intégration de la loi du père symbolique, utopique sans doute, et qui ne produirait pas de symptôme.

Cette jouissance normale est très hypothétique car une jouissance qui serait le juste dosage respectant à la fois la loi et en même temps la nécessité d’une décharge ne prendrait pas en compte les considérations du dernier Freud que Lacan aura fait siennes dans ses travaux. Autrement dit, quand on parle de jouissance l’on entend également symptôme.

Pulsion de mort :

En effet, le symptôme est source de souffrance mais aussi de jouissance. C’est ce que Freud découvrira avec la pulsion de mort

Rappelons ce que Freud entend par pulsion. Elle est un mouvement, une poussée psychique constante qui a sa source dans le corps et dont le but est de se satisfaire au moyen d’un objet.

Le symptôme est une fabrication morbide, un pis-aller, résultant d’une représentation trop invasive, source d’excitation massive et donc refoulée, rejetée ou déniée selon la structure. Il permet de faire tenir le sujet, parfois en le détruisant. C’est un nouage morbide mais qui tend à éviter une montée d’excitation dévastatrice car non symbolisée.

Embarrassant, bloquant, parfois invivable, le symptôme est également source de jouissance.

C’est ce que Freud découvre et développe dans Au-delà du principe de plaisir, en 1920, rompant avec le principe de plaisir qu’il croyait au premier plan de la vie psychique du sujet. Il découvre, notamment par l’enseignement que lui donnent les malades de la première guerre mondiale, que le patient tient à son symptôme morbide et résiste au fait de s’en séparer.

« C’est la jouissance dans le symptôme qui est un obstacle à la guérison » dira Freud.

Il ajoutera :

 » Ils aiment leur délire, leur symptôme plus qu’eux mêmes. »

Son symptôme, le patient y tient et tout à la fois veut s’en débarrasser.

C’est comme si, le premier jour de la consultation, la l’analysant disait : enlevez moi cela mais ne changez rien.

Le symptôme qui fait jouir, c’est par exemple la complainte hystérique, la pensée omnisciente obsessionnelle ou le nirvâna psychotique…

Freud identifie deux élans contraires dans la pulsion de mort. Elle est un mouvement vers un état initial et un autre vers l’anéantissement. Le retour à l’état initial n’est pas la victoire du principe de plaisir mais sa transgression. C’est par la transgression que se noue l’impulsion de création à partir du rien. Elle pousse à la répétition morbide comme une énième tentative de faire surgir la jouissance perdue, l’anti-langage.

Si le symptôme insiste, c’est bien parce qu’il y a une volonté inconsciente de conjurer un vécu traumatique en le répétant, pour tenter de le dépasser. C’est une répétition visant à rejouer la scène du trop plein d’excitation pour se donner une énième chance de la digérer. Dans cette tentative de dépassement, il y a la volonté – inconsciente ! – de conjurer la jouissance excessive et traumatique et de tout à la fois la retrouver.

La jouissance refusée insiste mordicus et suscite la compulsion de répétition du symptôme. Et la répétition elle-même, dans sa forme compulsive, est à la fois tension et décharge.

Si, selon Lacan,

 » La jouissance est la satisfaction d’une pulsion »,

Néstor Braunstein ajoute qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle pulsion, mais de la pulsion de mort. D’ailleurs, Lacan ne le conteste pas, puisqu’il précisera que la pulsion de mort freudienne est l’équivalent de sa conception de la jouissance. Sans doute s’agit-il de la jouissance de l’être et non de la jouissance phallique qui insiste. En effet, la jouissance phallique est ce résidu de jouissance de l’être qui n’a pu se métaboliser dans et par le langage et laisse un trop de jouir insatisfait.

La pulsion de mort tend à dissoudre la parole en effaçant l’Autre pour renouer avec la jouissance première.

Une fois de plus, nous voyons que les concepts analytiques ne sont pas monolithiques. La pulsion de mort serait la jouissance elle-même, la transgression, le retour à un état initial, une source de création….

Le nouage entre pulsion de vie et pulsion de mort ne dissipe pas ce constat. Eros et Thanatos sont liés. En témoigne le retentissement immédiat du néologisme hainamoration. La haine, premier affect, est facteur de déclenchement de l’amour. Sans la haine, il n’y aurait pas d’amour.

Ainsi, le symptôme est une jouissance ignorée, une satisfaction sexuelle substitutive et le résultat d’un non discours. Il y a dans le symptôme comme une jouissance encapsulée, cette jouissance de l’être, non symbolisée, dont l’origine est la séduction primaire.

 

POLITIQUES DE LA CASTRATION ET STRUCTURES

La structure clinique est une façon de prendre position face à la jouissance perdue, à la castration. Chaque sujet, selon sa structure clinique, a sa politique de la castration, autrement dit, ses modalités de jouissance en réponse à la castration.

Partons des trois structures, psychose, névrose et perversion.

Le psychotique rejette la castration. Il n’a pas traversé   l’Oedipe, et n’a donc pas intégré la menace du père symbolique, le tiers séparateur. Le signifiant Nom du Père n’a pas opéré. Le sujet est ainsi à l’épreuve directe de la jouissance sans limite de la mère.

Ici la parole n’agit pas. La jouissance envahit le sujet, faute du garde fou que constitue la menace de castration.

En terme lacanien l’on pourrait dire que, dans la psychose, la jouissance n’est pas réglée par les signifiants, et le premier d’entre eux, organisateur de la chaîne signifiante, le Nom du Père. Le délire prend la place du Nom du Père quand les signifiants n’ont pas leur point d’ancrage, quand le signifiant d’exception, le Nom du Père, est forclos. En termes lacanien, cela pourrait s’écrire de la manière suivante : il y a chaos des S2, des signifiants hors le signifiant d’exception, quand le S1 est forclos ; ou encore, la forclusion du Nom du Père entraîne une invasion sans ordre des S2.

Le hors langage implique que le sujet n’est pas soumis aux lois de l’échange et des régulations réciproques. Il n’attend pas de réponse de l’Autre à son manque à être. Dans la jouissance de l’être, Il n’y a pas d’Autre.

 

STADE DU MIROIR

Précisons que Lacan a également et en premier lieu travaillé la psychose, dès ses premiers pas, à la lumière de ce que Henri Wallon avait déjà développé du stade du miroir.

C’est un moment de jubilation où l’enfant se jouit, il découvre son image et constitue une image de soi unifiée, donnant un sentiment de complétude et de maîtrise. C’est un moi imaginaire, au sens où le symbolique n’est pas encore en place et où le soi repose sur l’image, le spéculaire.

La constitution d’un moi imaginaire est le préalable à la constitution du moi. Rater cette marche peut avoir des conséquences psychopathologiques dont les signes seront le rapport flou, voire inexistant à sa propre consistance et enveloppe corporelle. Celle-ci exsangue, trouée, fera retour dans le réel : délire et hallucination d’un corps morcelé, touché, pénétré par le dehors, sans frontière entre l’intérieur et l’extérieur. La castration imaginaire, préalable à la castration symbolique, unifie le corps tout en le réduisant à son enveloppe. La construction de l’image de soi par la castration imaginaire, c’est à dire par la réduction du soi spéculaire aux limites corporelles, est une castration préalable aux frontières imposées par l’ordre symbolique. L’enfant, avant les mots, est un être imaginaire, c’est à dire dans un rapport primordial à l’image.

Comme pour le Nom du Père, qui intervient en second lieu, Lacan considère la castration imaginaire comme un salut, une ouverture possible au registre symbolique, un point de passage requis pour ne pas glisser dans la folie.

En se voyant dans le miroir, l’enfant conquière son unité mais il se voit également séparé de l’autre, de sa mère qui le portait. Il intègre qu’elle est une image distincte de la sienne. C’est une expérience de séparation psychique d’avec l’autre, l’expérience d’un manque. La confusion est levée : cet autre-image est séparé de moi, il est un autre.

 

PHALLUS DE LA MÈRE

Renoncer à l’objet primordial n’est pas sans heurt. Pour combler cette béance, cette absence du corps de la mère, l’enfant va s’identifier à ce qu’il imagine, fantasme, être son manque : le phallus. Etre le phallus de la mère, telle est la solution imaginaire de l’enfant pour combler l’absence du corps maternel. Ainsi, par l’identification au manque de la mère, au phallus, il reconstruit imaginairement la complétude originaire. De nouveau, l’oeuf mère-enfant est reconstitué et le manque écarté.

Le phallus, c’est aussi l’enfant dans la représentation de la mère. Ainsi, le fantasme de l’enfant et celui de la mère se conjuguent. Être le phallus de la mère pour l’enfant et avoir l’enfant comme phallus pour la mère.

 

ADDICTIONS ET POLITIQUE DE LA CASTRATION

Les personnes sous drogues vivent des moments psychotiques.

Les addictions aux substances sont une façon chimique de rejeter la castration. D’ailleurs, l’on évoquera l’état de Nirvâna aussi bien chez le psychotique que dans certains états sous drogues. Là aussi, le sujet est débarrassé du régime des échanges avec l’Autre. Il a sa Chose, son objet à disposition, corvéable à souhait, soumis. C’est une jouissance de l’être, non soumise à la menace de castration. Reprenant le terme de rejet – ou de forclusion – de la psychose, l’on dirait que c’est un rejet, une forclusion par adhésion totale à la Chose.

Dans la psychose comme dans les addictions, le sujet se débarrasse de la question de l’autre et de la loi.

 

NÉVROSE ET POLITIQUE DE LA CASTRATION

Le névrosé n’est pas sans autre, et c’est toute sa difficulté. Il n’a de cesse de tenter de s’en arranger depuis l’intervention du tiers séparateur, l’opérateur de l’Oedipe, le père symbolique. Sa jouissance est régulée par la menace de la castration. Le refoulement est le moyen d’oublier la représentation d’un excès de jouissance interdite et le symptôme est une tentative de substitution de cette jouissance.

La névrose est l’effet du refoulement d’une représentation psychique intolérable, et qui fait retour dans le symptôme, le retour du refoulé. Ce matériel n’est pas forclos mais oublié et resurgit dans le corps – conversion -, chez l’hystérique, et dans la tête – obsession -, chez l’obsessionnel. C’est parce que ce matériel n’a pas trouvé de traduction, de mot pour le dire, qu’il se manifeste dans le symptôme.

En somme, le névrosé est aliéné dans l’Autre sans l’Un et le psychotique est aliéné dans l’Un sans l’Autre.

 

PERVERSION

Examinons maintenant la perversion. Son mécanisme est le déni. Quelque chose de la castration a été perçue mais le sujet n’en veut rien savoir. Il dénie une perception. N’ayant pas été menacé par le père symbolique, car il n’a pas traversé l’Oedipe, la toute jouissance lui est permise. Il dénie la castration. Et la force de la preuve qu’il apporte à l’absence de castration est proportionnelle à l’ampleur du déni. Cette preuve est le fétiche. Avec le fétiche, il défit, après l’avoir déniée, la castration.

La politique du pervers face à la castration est d’inverser la loi du père symbolique et menaçant. Il veut la loi pure de la transgression, la jouissance intacte du sans limite. Sa terreur est la représentation de la mère castrée. Il en reconstitue, dans son déni, les attributs par le fétiche.

 

IL N’Y A PAS DE RAPPORT SEXUEL

Partons maintenant de l’aphorisme bien connu de Lacan, il n’y a pas de rapport sexuel. À partir de cet énoncé, dont le sens commun indiquerait qu’il est faux, voyons ce qu’il révèle de la conception lacanienne de la jouissance, de ce que Lacan appelle le non rapport sexuel entre l’homme et la femme, et les solutions à cet impossible que le sujet va fabriquer dans l’amour.

Identité de genre :

L’aphorisme conjugue la question de la jouissance avec celle de l’identité de genre. Lacan est en effet l’un des inspirateurs des études sur le genre. Ses travaux seront des points de référence pour les recherches autour des gender studies : Luce Irigaray, Judith Butler, Julia Kristeva, Michèle Montrelay.

Bisexualité psychique :

Tout d’abord, pour Lacan comme pour Freud, rappelons qu’il n’y a pas de sexe psychique, de sexe inscrit dans l’inconscient. En effet, l’homme et la femme ont une égalité parfaite dans l’inconscient et chaque être humain recouvre une composante féminine et masculine.

Lacan ne renie pas le sexe anatomique. Il ne s’éloigne pas non plus de la formule de Freud qui déclare à propos de l’acte sexuel :

« Je m’habitue à considérer chaque acte sexuel comme un événement impliquant quatre personnes … quatre personnes, deux fois deux sexes, soit deux partenaires chacun porteur du masculin et du féminin.”

Donc, le rapport entre l’homme et la femme ne s’inscrit pas dans l’inconscient, c’est à dire que l’anatomie, en cette matière, n’est pas opérante.

Il n’y a pas de rapport sexuel, c’est d’abord dire que les deux sexes n’étant pas inscrits dans l’inconscient, il n’y a pas d’écriture possible d’un rapport entre eux.

Voyons d’autres lectures possibles de l’aphorisme.

Tout d’abord, nous l’avons vu, la jouissance est une affaire éminemment subjective. Lorsque nous croyons jouir du corps de l’autre, nous jouissons de notre propre corps. Chacun reste muré dans sa propre jouissance. La jouissance ne crée pas de rapport entre les sexes. Le fantasme d’accorder les jouissances dans le rapport sexuel est une tentative psychique de réparer son impossibilité.

« Il n’y a pas de rapport sexuel » est une façon de dire que les jouissances ne se rencontrent pas.

Si le désir met au centre l’autre – le désir est le désir du désir de l’autre dira Lacan, en cela, c’est toujours réciproque, car quand on désire c’est que l’on convoque un autre désirant -, la jouissance l’écarte, même si elle en use pour son propre compte. Il n’y a pas de désir sans autre là où la jouissance s’en débarrasse, l’exproprie.

Abordons maintenant la question de la jouissance des femmes et celles des hommes, ou plutôt la jouissance du côté du masculin et du féminin.

 

JOUISSANCE MASCULINE ET FÉMININE

Libido :

Rappelons que pour Freud il n’y a qu’une seule libido et qu’elle est d’essence phallique, au sens de masculine. Pour lui, la jouissance s’organise autour de l’objet phallique que les uns ont et les autres pas. Ceux qui l’ont ont peur de le perdre et ceux qui ne l’ont pas voudraient l’avoir.

La jouissance freudienne serait donc toujours marquée du primat du phallus

Jouissance Autre :

Nous avons examiné la jouissance de l’être et la jouissance phallique. Voyons maintenant ce que Lacan entend par jouissance de l’Autre, ou Autre, ou supplémentaire.

Pour Lacan, il y a donc une jouissance Autre, ou de l’Autre. Si la jouissance phallique est un effet de la castration, si elle est langagière, si elle implique la loi de la parole dont le Nom du Père est le pilier, la jouissance Autre n’est pas-toute réduite à la jouissance phallique, pas toute soumise à la castration.

Elle émerge par-delà la menace de castration. Elle est passée par le langage et surgit hors de lui. Dans la jouissance féminine, il y aurait une partie phallique, soumise à la castration, dans le langage, et une partie supplémentaire, indéfinissable.

Cette jouissance Autre serait proche de la jouissance de l’être, absolue, liée à la Chose, mais n’aurait pas ignoré l’effet du langage, de la loi. Elle l’aurait dépassé et non rejeté comme dans la psychose.

Ainsi y aurait-il dissymétrie entre l’homme et la femme :

 » La femme n’est pas toute, il y a toujours quelque chose qui chez elle échappe au discours », dit Lacan

 Et d’ajouter  » Il n’y a pas de rapport sexuel, s’il y a un point où ça s’affirme, et tranquillement, dans l’analyse, c’est en ceci que la Femme, on ne sait pas ce que c’est.»

 Ainsi, la jouissance au féminin se divise t-elle entre jouissance phallique et jouissance Autre dite féminine.

La jouissance Autre est non oedipienne, elle s’émancipe de la logique de la menace de la castration.

Il est vrai que Lacan ne cachait pas le caractère mystique de ce qu’il avançait là.

 » Je crois à la jouissance de la femme en tant qu’elle est en plus « .

Là où Freud s’avouait vaincu, Lacan opposait une croyance, celle de l’existence d’un contient Autre, qu’il tentait de démontrer.

« En plus » signifie pas toute phallique. Cette jouissance n’est pas toute régie par le signifiant premier, le Nom du père, puisqu’elle est féminine.

Le rapport sexuel n’existe pas parce que la jouissance phallique et la jouissance Autre sont deux continents distincts, non complémentaires, qu’aucun signifiant n’articule. Ils signent la différence radicale entre le masculin et le féminin, quel que soit le sexe.

Pour intégrer ce qui précède, il faut bien avoir à l’esprit que Lacan ne sexologise pas l’homme et la femme mais en fait des incidences du signifiant. Pour Lacan, il n’y a pas d’identification nécessaire au sexe biologique. L’on comprend bien ici en quoi les études de genre se sont intéressées aux travaux de Lacan.

Je souligne le mot « nécessaire » car une fois de plus Lacan ne dément pas la réalité du sexe biologique, il dit que d’identité sexuelle n’est pas un fait biologique mais de langage.

Avec Lacan, on quitte la logique binaire homme – femme pour se loger dans une autre binarité : féminin – masculin ; jouissance phallique – jouissance Autre.

 Les sujets qui, homme ou femme, inscrivent leur jouissance au masculin sont soumis à la menace de la castration. Leur jouissance est limitée, circonscrite par le langage et la loi, comme nous l’avons vu.

En revanche, ceux qui, homme ou femme, ont traversé et dépassé la jouissance phallique sont dans la jouissance Autre, féminine, supplémentaire. Non pas complémentaire à la jouissance phallique, mais distincte, indéfinissable.

 Lacan aura cette formule elle aussi provocatrice :

« Est hétérosexuel qui aime une femme quel que soit son sexe ».

Cet aphorisme dit bien que le féminin est altérité absolue, et qu’il est le privilège, ni de l’homme, ni de la femme, mais de qui, homme ou femme, inscrira sa jouissance au féminin, par-delà la castration. Dans le féminin, il y a toujours de l’Autre. Et le féminin, c’est l’acceptation de son manque.

Le tableau des formules de la sexuation :

Lacan précisera ces deux positons – à gauche, le masculin ; à droite, le féminin – par rapport à la castration dans un tableau appelé formules de la sexuation.

Les formules de la sexuation définissent une dissymétrie foncière entre la position masculine et la position féminine, dont Lacan précise bien qu’il s’agit de position logique et qu’hommes et femmes peuvent s’inscrire de chaque côté du tableau.

 

LE SIGNIFIANT AMOUR COMME SUPPLÉANCE

Si le rapport sexuel est impossible selon Lacan, il existe une suppléance : l’amour.

« Ce qui supplée au rapport sexuel, c’est précisément l’amour » Lacan

Le Banquet de Platon :

Ne nous trompons pas. Lacan ne partage pas la vision platonicienne de l’amour, celle où Aristophane, dans Le Banquet, décrit l’amour comme la reconstitution d’une unité perdue, de deux moitiés, chacune complémentaire, qui s’unissent à nouveau dans la fusion. Ce mythe fait de chacun des sexes le complément de l’autre.

La lettre :

Lacan pointe la pratique épistolaire comme le signe de l’importance de la lettre.

L’anecdote de Rousseau et la maxime de La Rochefoucauld, rappelés par Paul-Laurent Assoun, illustrent le propos :

Rousseau parle d’un marquis quittant sa marquise pour aller lui écrire des lettres d’amour. Le marquis jouit du signifiant amour à défaut d’une rencontre dans le réel qui n’a de cesse d’échouer. C’est pour qu’advienne la rencontre qu’il s’échappe de son aimée et écrit des lettres d’amour. C’est par le signifiant amour que la rencontre se fait.

La maxime de La Rochefoucauld affirme l’importance de la lettre, celle du signifiant amour :

« Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour. »

Le signifiant amour est ce qui fait médiation entre « les un-tout-seul »

En ce sens, l’amour est une suppléance au non rapport sexuel.

“Quiconque aurait une sexualité épanouie, c’est à dire, qui atteindrait la jouissance à chaque fois, n’aurait pas besoin de l’amour si l’amour est ce qui vient suppléer au non rapport sexuel« . Paul-Laurent Assoun

Chez les animaux, il y a sans doute rapport sexuel, car ceux-ci inscrivent leur rapport hors le signifiant, hors la parole, qui crée la division du sujet. Chez l’humain, il n’y a pas le signifiant commun de la jouissance mais il y a le signifiant de l’amour.

Coup de foudre :

Lorsque l’on parle de coup de foudre, c’est que le signifiant amour est en place, prêt à être investi par le parlêtre. C’est aussi la conjugaison du moi idéal – avant l’autre ; un moi idéal-tout-seul – et de l’idéal du moi – une figure idéalisée de soi dans l’autre – qui provoque l’impact fort d’une rencontre : celle d’un moi idéalisé, reflété dans la figure d’un autre. Le coup de foudre est une affaire tout à la fois signifiante et spéculaire.

 

MANQUE ET AMOUR, OU AIMER C’EST DONNER CE QUE L’ON A PAS…

Revenons à la question du manque à propos de l’amour. Si l’amour répare le non rapport sexuel, il met le sujet face à son manque et au manque de l’autre. L’aphorisme Aimer c’est donner ce que l’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas, cerne la question de l’articulation du manque et de l’amour.

Quand on aime, on s’en remet à l’autre. Aimer, c’est dévoiler qu’il nous manque quelque chose à quoi l’on tient plus que tout, c’est se mettre en situation d’être dépendant, c’est à dire incomplet. C’est reconnaître son incomplétude. Avec l’amour, Lacan travaille la question du féminin. Aimer c’est féminin au sens de la sexuation – pas du sexuel -, au sens de la composante féminine en chacun. Savoir aimer, c’est accepter le manque en soi et la dépendance à l’autre. Aimer féminise.

Aimer, c’est donner à l’autre son manque, c’est se rendre comme aliéné à l’autre parce que, sans lui, il n’y a que manque. Donner son manque, ce que l’on a pas, c’est s’en remettre à l’autre dans l’amour, espérant une complétude, dans le fantasme de l’unité absolue. Aimer c’est donner quelque chose que l’on croit avoir mais que l’on a pas.

 

… À QUELQU’UN QUI N’EN VEUT PAS

Mais aimer c’est donner ce que l’on a pas, son manque, à quelqu’un qui n’en veut pas. Celui qui reçoit l’amour de l’autre ne reçoit jamais ce qu’il attend. Pourquoi ? Parce que derrière la demande de l’autre, il y a une infinité de demandes. À la différence du besoin, qui est solvable : j’ai faim, je mange, alors je n’ai plus faim, la demande cache toujours une autre demande. Une demande d’amour cache une autre demande, un peu comme derrière un signifiant se cache un autre signifiant. Lorsque quelqu’un reçoit quelque chose d’un autre, ce n’est jamais exactement ce qu’il attend.

Ainsi, le présent que l’on donne à un l’enfant par exemple ne sera jamais ce qu’il attend. Ce n’est pas de cela qu’il veut. C’est d’autre chose. Et cet autre chose est le manque. Il veut le manque parce c’est à la source même du désir.

 

DESIR ET AMOUR

S’il y a scission entre la jouissance et l’amour, si l’amour est le substitut du rapport sexuel, du partage impossible des jouissances, le désir et la jouissance inscrivent le sujet dans un autre clivage.

Le désir est à la fois soumission et émancipation. Ce qui le constitue vient de l’autre, est le désir du désir de l’autre duquel il dépendant. Il signe une dépendance, une incomplétude. Mais il est aussi affranchissement. Dans son rapport au langage, au tiers, à l’autre, il émancipe le sujet d’une jouissance sans borne dans laquelle il manque de s’engloutir. Le désir est une défense qui maintient la jouissance dans son impossibilité.

 » Le désir et la loi sont une seule barrière qui nous entrave l’accès de la Chose  » Néstor Braunstein

Avec le désir, le sujet troque l’Un contre l’Autre. Et si l’autre oblige, contraint, est source de dépendance, il émancipe de la Chose. En témoigne le soulagement de l’enfant quand la limite lui est montrée.

 

Conférence de Bruno Bagarry du mercredi 7 juin 2017 aux Séminaires psychanalytiques de Paris. 

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