Cancer et culpabilité

Un article publié le 2 janvier 2015 dans la revue Science affirme que « les deux tiers des cancers diagnostiqués – hormis les cancers du sein et de la prostate, qu’ils n’ont pas étudiés – seraient causés par le hasard qui voit des mutations aléatoires se produire dans le processus de division des cellules. »

Les réactions à cette études ne se sont pas fait attendre. Certains articles ont contesté ces résultats qui ne seraient qu’une dérive, une de plus, de la sectorisation des études réalisées, évacuant toute considération holistique de la recherche – http://blogs.mediapart.fr/blog/hezi/290115/le-hasard-le-cancer-et-la-pseudo-science.  Mais par delà les contestations de la démarche scientifique, bon nombre de réactions soulignaient la difficulté pour le sujet d’accepter un tel verdict. Il semble en effet qu’il serait plus couteux d’admettre la faute du hasard plutôt qu’une part de responsabilité individuelle dans le mal qui se développe.

 

Si le cancer est le fruit du hasard, le malade est alors dessaisi du sens de ce qui le foudroie , et la part de culpabilité liée à la jouissance – celle de trop fumer, de trop boire… – disparaît au profit d’un sort jeté par des forces non maîtrisables. Ce qui donnait du sens hier, l’idée d’une faute évitable mais parfois librement consentie, disparaît au profit d’un tirage au sort dont on serait le jouet.

 

Le hasard destitue l’individu de la part d’appropriation de ce qui le touche. Ainsi, la culpabilité est le moyen pour le sujet d’être partie prenante de ce qui lui arrive, d’y mettre du sens. « Si le cancer est la résultante de mes actes, il est alors quelque chose que je n’ai pas subi passivement ».

 

Dans le processus de deuil décrit par  Elisabeth Kübler Ross, l’on observe une phase dite de marchandage, détaillée par Hélène Reuss, période où la personne recherche un compromis avec soi-même et la réalité. C’est le moment des « si seulement » : « si seulement j’avais été là au bon moment », »si seulement je l’avais accompagné… » La quête de sa propre faute dans la disparition de l’autre est un moyen de prendre prise sur l’événement, de trouver sa part de culpabilité pour y donner un sens, celui d’une négligence, d’une absence, ou de tout autre fait contribuant à expliquer l’inexplicable.

 

René Roussillon et son équipe de recherche lyonnaise insiste sur la nécessité de travailler la part de culpabilité du patient. Ils pointent du doigt les effets revers d’une déculpabilisation courante en milieu de soin : « C’est une telle accentuation que réalisent paradoxalement les conduites médicales de déculpabilisation (vous n’y êtes pour rien, c’est un accident…). Mais le sujet tient à y être pour quelque chose. La déculpabilisation destitue en quelque sorte le sujet, elle le prive d’une position d’appropriation de ce qui de son histoire traumatique lui appartient » Ainsi, pour l’université Lyon 2, convient-il de faire émerger à la conscience du patient une part de responsabilité, fictive ou non. Ce travail permettra au sujet de s’approprier la part de son histoire qui lui échappe et, dans un deuxième temps, de s’innocenter lui-même et non plus par l’influence d’un entourage aux propos bienveillants mais sans portée véritable.

 

La culpabilité est bien un moyen d’être acteur, à juste titre ou non, de ce qui arrive au sujet. L’exemple de Crime et châtiment de Dostoïevski illustre la question. Raskolnikov est coupable d’avoir tué une vieille roturière. Afin qu’il puisse expier son crime, il se doit d’être coupable devant tous. Sa délivrance vient de l’aveu qui le désigne comme criminel aux yeux du monde. Reconnu coupable  par le jugement, Raskolnikov se déleste du fardeau. Mais également, il accède  par ce moyen à la reconnaissance officielle de sa faute et peut enfin s’approprier le crime dont l’exécution lui paraissait jusqu’alors comme un acte hors de lui, hors de toute raison.

 

Mal qui ronge le névrosé de toute facture, la culpabilité est aussi le moyen de se construire en tant que « Je » agissant et responsable, sujet de ses actes.

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