Le jeune homme à la cigarette

À la terrasse d’un café, un jeune homme s’assoie à côté d’un homme bien plus âgé et lui demande s’il peut fumer. L’homme lui répond que oui en précisant toutefois qu’il souhaite être épargné par les effluves de sa cigarette.

 

Pendant quelques minutes, l’étudiant sort ses cahiers, ses stylos, commande un café et se met au travail. Pas de cigarette. L’homme se dit qu’il a dû dissuader son voisin par sa remarque.

 

Puis le jeune homme, pris par une quinte de toux,  sort de sa poche son paquet et commence à fumer.  Une quinzaine de minutes passent, il tousse à nouveau et allume une seconde cigarette. Et cela pendant deux heures.

 

Ainsi, le message de son corps enclenche une action que l’on pourrait imaginer toute autre.

 

Au regard de la psychopathologie, risquons une interprétation possible. La peur d’être malade peut entraîner la prise de risque. Manger gras et beaucoup lorsqu’une alerte du foie a été donnée ; courir plus vite et plus longtemps quand le cœur a déjà lâché… Chacun de ces actes est un moyen de s’éprouver, de conjurer l’excitation par l’excitation. Ici, l’acte de symbolisation, c’est-à-dire de métaboliser l’éprouvé corporel par la parole, est inopérant.

 

On observe cela chez les sportifs de haut niveau, les navigateurs ou les coureurs invétérés. L’arrêt de l’activité mène au vide et à l’angoisse. Quand la stimulation corporelle n’est pas agie, le sujet subi ses pulsions qui le débordent. Là où la puissance du langage pourrait s’interposer, l’excitation est à vif et trouve comme seule réponse une stimulation plus forte.

 

L’adolescence est le premier terreau de cette escalade. À cette étape de vie, le corps pulsionnel est en avance sur le développement psychique. L’adolescent privilégie le passage à l’acte, l’éprouvé, par la mise en jeu du corps : prise de risque dans l’activité physique, scarification, usage de substances… Si « la santé, c’est la vie dans le silence des organes » selon Leriche, ce silence est assourdissant pour l’adolescent, et il lui oppose un corps parlant, hurlant parfois, au prix de se nuire, quelques fois jusqu’à se détruire.

 

À ceux qui n’ont pas trouvé le moyen de parer leur excitation interne sans user de moyens radicaux, la thérapie est le moment de la mise au travail par la parole. La déliaison du quantum d’affect – charge émotionnelle – d’avec sa représentation d’origine fait le lit du symptôme. En effet, si l’origine et la nature d’un événement traumatique est refoulée – placé dans l’inconscient du sujet -, la charge émotionnelle reste intacte et se déplace au gré d’associations inconscientes. C’est comme une  d’énergie qui aurait été libérée de son contenant d’origine et qui se fixerait ici ou là sans que le sujet ne puisse faire un lien entre cette charge puissante et la réalité du vécu actuel. Si je ne comprends pas pourquoi telle situation m’émeut si fort, c’est sans doute qu’elle a un lien indirect avec un autre événement ou une accumulation de micro-scènes traumatiques plus anciens. Car pour le tout petit enfant, les choses se jouent dans le corps sans moyen constitué de métaboliser le vécu, de le symboliser. Et c’est grâce à son environnement, essentiellement parental, qu’il mettra des mots, une représentation, à ce qui est avant tout un vécu corporel brut et sans le filtre du langage.

 

La toux du jeune homme à la cigarette est peut-être une alerte. Mais si la fumée est pour lui le moyen de gérer  son anxiété, elle donne une réponse en miroir au mal qui le ronge : je fume parce que j’ai peur de mourir et je mets mon corps au défit pour me sentir vivant.

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